Face à un Bachar al-Assad toujours au pouvoir, l’opposition syrienne est désunie et morcelée. Barah Mikaïl, directeur de recherche pour le think tank espagnol Fride, est pessimiste quant à l’évolution de la situation à court terme. La tentation communautaire est forte après de longs mois de conflit. Une crise pourrait-elle en cacher une autre ?
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Seize mois après le début de la crise syrienne, les opposants au régime de Bachar al-Assad peinent à s’unir autour d’un même mouvement. Réunis au Caire en début de semaine, les différents représentants de l’opposition au régime ont une nouvelle fois affiché leurs divergences.
Les démons de l’opposition syrienne
Pour Barah Mikaïl, directeur de recherche pour le think tank espagnol Fride, la situation pourrait durer encore longtemps, à la faveur du régime de Bachar al-Assad.
Mais derrière la question de l’opposition, c’est aussi la société syrienne qui est divisée, et la tentation de repli communautaire est plus que jamais d’actualité.
Quelles sont les failles de l’opposition syrienne ?
L’opposition est divisée et il y a une véritable crise de leadership qui empêche les opposants au régime de se réunir autour d’un même mouvement. Nous avons cette impression de voir tous les courants de l’anti-régime vouloir tirer la couverture vers eux tant chacun des mouvements veut apparaître comme le sacro-saint sauveur de Syrie.
Parmi les nombreux facteurs de divergences, il y a celui qui oppose les islamistes aux laïcs. Par exemple, les Frères musulmans, qui dominent le Conseil nation syrien (CNS) n’arrivent pas à convaincre l’ensemble des opposants.
Le sujet de l’intervention étrangère est également un facteur de divisions. Certains individus se déclarent favorables à ce que les organisations étrangères se mêlent au conflit, par une intervention militaire comme par une aide technique ou financière. D’autres s’y opposent formellement et veulent que le conflit syrien soit réglé par des Syriens.
C’est également ce sujet qui oppose les adversaires de l’intérieur à ceux de l’extérieur. De nombreux opposants au régime vivent à l’étranger et n’ont, pour certains, quasiment jamais vécu en Syrie. Ils n’ont alors aucune légitimité aux yeux de ceux qui vivent la crise au quotidien.
Quand les puissances étrangères participent au conflit
Quelles puissances étrangères soutiennent aujourd’hui l’opposition syrienne et quelle aide apportent-elles ?
Il y a un grand flou sur cette question et beaucoup de suppositions. Si les puissances occidentales ne veulent pas afficher de soutien actif, nous savons que les Etats-Unis et la France, par exemple, offrent une aide technique notamment par des accès satellites et autres moyens de communication.
Il est difficile pour elles d’accorder plus à une opposition tellement divisée.
Quant à l’armement des rebelles, il faut aborder cette question avec beaucoup de prudence car aucune information précise ne peut être donnée. En revanche, de nombreux doutes persistent et en général, on s’accorde à penser que l’Arabie Saoudite et le Qatar sont à l’origine des approvisionnements et de l’aide financière accordée à l’opposition.
La Turquie offrirait également son soutien en facilitant le passage de la frontière à armes et rebelles.
Pourquoi les puissances occidentales semblent-elle si frileuses à accorder leur soutien à l’opposition syrienne ?
Les Etats-Unis ont tiré les leçons de l’Irak, et plus récemment de la Libye. Les puissances étrangères ne prendront pas le risque d’accorder leur soutien à une alternative au régime si elle n’est pas fiable.
La configuration de la Syrie est atypique et le risque d’éclatement communautaire est fort si le régime tombe. Les tensions actuelles le montrent. La Syrie est peuplée d’alaouites, de sunnites, de chrétiens, de kurdes, de druzes. Autant de minorités qui auront des difficultés à cohabiter si le régime n’est pas fort. Si la situation n’évolue pas, les communautés se replieront sur elles-mêmes. Plusieurs conflits entre diverses communautés, notamment entre sunnites et alaouites, ont déjà été relatés.
La sécurité est loin d’être assurée si Bachar al-Assad tombe et les conséquences de cet éclatement auront inévitablement des effets dramatiques sur toute la région, notamment en Turquie et au Liban. La communauté internationale n’est pas aveugle sur ce sujet.
Si l’opposition est divisée, le pays l’est encore plus
Aujourd’hui, quelle personnalité pourrait prendre la tête d’un mouvement d’opposition solide et sérieux ?
Il semble que les plus légitimes pour incarner l’opposition syrienne soient les comités locaux de coordination. Leurs membres habitent en Syrie, ils se sont activés pendant la crise. Mais même au sein de ces comités il y a des dissensions et leurs membres n’arrivent pas à s’unir.
Quant aux personnalités dont les noms reviennent souvent, même si certains ont des perspectives et de l’ambition, je ne vois pas lequel pourrait véritablement prendre la tête d’un mouvement solide.
L’opposant Michel Kilo est souvent cité, mais il est assez âgé pour pouvoir réellement engager le pays. Au sein du Conseil national syrien, l’ancien président Burhan Ghalioun avait réussi à se construire une bonne notoriété mais son successeur, Abdel Basset Sayda n’est quasiment pas connu.
Haytham Manna, défenseur des droits de l’homme prend le contre-pied de nombreux opposants, il veut faire dans la mesure mais ne réunit pas les faveurs de tous.
Il n’y a pas de leader effectif pour fédérer l’opposition, ni la population.
Car il faut également prendre du recul sur cette opposition. Telle que la situation est souvent relatée, on imagine que la Syrie entière est morcelée en différents mouvements d’opposition en face d’un Bachar al-Assad soutenu seulement par son armée. Mais dans les faits, il faut bien savoir que la révolte syrienne est concentrée dans certaines régions.
Les deux principales villes du pays, Damas et Alep demeurent relativement calmes à ce jour, malgré quelques affrontements ponctuels. Ces deux villes représentent tout de même, à elles-seules, près de la moitié de la population syrienne.
Le pays lui-même est divisé, et le régime syrien profite largement de cette division.
Contre-information autour du conflit syrien ?
Dans cette configuration, quel avenir peut-on imaginer pour l’opposition ?
Il y a un point sur lequel tous les mouvements s’accordent, c’est la véritable nécessité de provoquer un après Bachar al-Assad.
C’est ensuite que le problème se corse, les opposants ne s’accordent ni sur les moyens d’y parvenir, ni sur la finalité de leur combat.
Toutes ces divisions abondent dans le sens du régime car il n’y a pas de signes de réconciliation à espérer avant longtemps.
Telle que la situation est relatée par les médias, on a pourtant souvent l’impression que l’opposition syrienne est nombreuse et convaincue. Pourquoi cette différence entre le récit et la réalité ?
Il est vrai que la crise syrienne, telle qu’elle est relatée dans les médias occidentaux et arabes semble souvent éloignée de la réalité du terrain. Tout simplement parce que, la plupart du temps, les sources de ces mêmes médias ne sont pas sur le terrain. Leurs informations sont collectées directement dans les rangs de l’opposition.
Je pense par exemple à l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, basé à Londres, qui fait régulièrement un bilan complet du nombre de morts dans le conflit.
Les comptes de cet Observatoire sont quasiment quotidiennement repris. Les médias n’ont, en revanche, pas vraiment relevé les récents rapports de Human Rights Watch. Le premier révélait les exactions de l’armée pendant le conflit, le deuxième abordait cette même question, du côté de l’opposition. Peu en ont parlé.
Mais ce n’est pas une surprise, les médias travaillent sur le coup de l’émotion. Pourtant, bien que les actes du régime de Bachar al-Assad soient tout à fait condamnables, il faudrait plus de nuances. Souvent, les médias collent aux agendas gouvernementaux et dénoncer Bachar al-Assad est aujourd’hui au programme, donc ils suivent.
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