De la violence des cartels à Mexico aux conflits politiques au Moyen-Orient et en Afrique, le commerce mondial des armes légères contribue à alimenter la violence dans le monde entier. Pourtant, le pays qui donna naissance à la Kalachnikov est à la recherche de nouveaux marchés civils pour compenser le recul des ventes de matériel militaire.
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La Russie offrit au monde le fusil d’assaut AK-47. Mais si vous pensez que le pays domine toujours l’ensemble du marché des armes légères, c’est une erreur.
Le déclin progressif du fournisseur historique
Pendant la Guerre froide, Moscou a bien acheminé d’énormes stocks d’armes vers ses alliés. Mais la concurrence féroce, nuisible aux ventes militaires, a conduit des fabricants comme Izhmash, le plus gros constructeur d’armes légères de Russie, spécialisé dans la Kalachnikov, à se pencher sur les marchés civils.
Aujourd’hui, Izhmash a dans sa ligne de mire des marchés très différents : le Canada, l’Europe et les États-Unis, les marchés les plus importants en termes d’armement civil.
Pour le fabricant, les États-Unis représentent actuellement le marché le plus lucratif. Cette année, les revenus devraient connaître une hausse de 25 % pour atteindre les 2,7 millions de dollars.
Les ventes militaires font de Moscou le deuxième plus gros exportateur d’armes, derrière les États-Unis. Les ventes hors du territoire sont en effet évaluées à près de 13 milliards de dollars.
Pour autant, les armes légères ne représentent qu’une petite partie des ventes globales russes, soit entre 1 et 2% des ventes d’armes conventionnelles. Un montant que Ruslan Pukhov, directeur du Centre d’analyse des stratégies et des technologies de Moscou, qualifie de « petite monnaie » pour le secteur de la défense.
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Un marché de l’armement saturé et très concurrentiel
Alors que la demande en armes lourdes demeure forte, les ventes d’armes légères ont été partiellement amputées par l’effondrement de l’Union soviétique. Les anciennes républiques socialistes soviétiques se sont alors retrouvées en possession de stocks d’armes colossaux, ce qui engendra une saturation du marché ayant encore des répercutions aujourd’hui.
La commercialisation d’imitations « illégales » mais bon marché par la Chine, entre autres, a participé à la remise en cause de la mainmise de la Russie sur le marché de l’armement militaire.
« Plus personne ne commande d’armes à nos fabricants de Kalachnikov, déclare Igor Korotchenko, rédacteur en chef du Défense Nationale Journal en Russie. Aucun contrat n’est signé parce qu’il n’y a plus de demande pour ce type d’arme. C’est bien plus simple de les acheter au marché noir ou d’acheter des copies fabriquées en Chine, en Bulgarie ou dans d’autres pays. Si vous pouvez acheter un film piraté en kiosque pour 100 roubles, pourquoi dépenseriez-vous 1500 roubles pour la version originale légale ? »
Le commerce des armes de plus en plus opaque
Les informations sur la fabrication d’armes légères en Russie restent vagues et relèvent souvent du secret. Un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) suggère que la Russie pourrait tenir un rôle clé dans la remise en question du consensus, et aider un groupe de travail des Nations unies à rendre le trafic d’armements plus transparent.
Seuls les plus gros contrats étant rendus publics, la majorité des analystes sont réticents lorsqu’il s’agit d’estimer ce que représente le commerce d’armes. Pour Alexander Golts, expert militaire, le dernier contrat de ce type avait été signé en 2005 avec le Venezuela, alors que la Russie avait accepté d’y construire une chaîne d’assemblage de Kalachnikovs. L’usine a commencé sa production cette année.
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Secret le plus stricte ou réelle absence de contrats ?
Paul Hotom, directeur du département « Transferts d’armes » au sein du SIPRI, émet l’hypothèse que la Russie fournirait également certains États d’Asie centrale, d’Afrique et d’Amérique latine en petites quantités d’armes. L’année dernière, la police uruguayenne aurait passé un contrat d’une valeur d’au moins 1,2 million de dollars pour 150 AK-103, Vityaz (fusil mitrailleur ressemblant à l’AK-47) et Bizon (un pistolet mitrailleur russe conçu par Izhmash).
Pour autant, les experts restent persuadés que ce sont les contrats qui restent secrets qui sont les plus nombreux. « Le fait que je n’ai vu aucune discussion à propos d’un gros achat de Kalashnikovs ces dernières années me laisse penser qu’il ne s’agit pas d’une précaution visant à garder secrètes de telles informations, pense au contraire Paul Holtom. S’il y avait eu un quelconque contrat, on aurait lu des choses à ce propos. »
La Syrie, client de premier choix
D’après ceux qui la critiquent, la Russie est généralement connue pour son manque d’éthique et sa politique du « laisser-faire » pour ce qui est de la vente d’armes. Ainsi Moscou déclare ne passer d’accords qu’avec les acheteurs qui acceptent de signer des garanties « dernier-utilisateur », c’est-à-dire qui promettent de ne pas revendre les armes après les avoir achetées. Cependant, beaucoup sont convaincus que les vendeurs russes savent pertinemment que ces clauses ne seront pas respectées.
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Pourtant, au moins un client tient les promesses qu’il a faites à Moscou : la Syrie. Le Kremlin et Rosoboronexport, qui détient le monopole d’État de l’exportation d’armes, ont même été critiqués alors qu’ils continuaient d’alimenter le pays en armes et en matériel militaire, et ce, malgré le climat de guerre civile qui y règne.
Mais du point de vue russe, la Syrie est un allié stratégique central au Moyen-Orient. Elle fournit en effet une base militaire et amène à la Russie des contrats pour le moins lucratifs. « C’est évident que la Russie va continuer à signer de tels contrats, explique Alexander Golts. Et pas uniquement pour des raisons financières ! »
Quoi qu’il en soit, l’une des meilleures choses que puisse faire le fabricant Izhmash est d’espérer que l’insatiable appétit des Américains pour les armes continuera de grandir.
GlobalPost / Adaptation : Antonin Marot pour JOL Press