Gavagai : Un drame captivant sur les tensions raciales et l’art du cinéma moderne

La poupée Matryoshka sophistiquée d’Ulrich Köhler associe Euripide au néoréalisme.

Une histoire astucieuse et contenue sur les frontières entre les individus, le film auto-réflexif “Gavagai” d’Ulrich Köhler raconte les tensions sur le plateau entre les acteurs et l’équipe d’une adaptation filmée de “Médée”, ainsi que les fissures subtiles causées par une altercation raciste lors de sa première. Sa réinterprétation de la pièce d’Euripide présente ses limites symboliques — à la fois intentionnelles et non — mais elle constitue un arrière-plan efficace au monde interconnecté du cinéma d’art et d’essai international et aux nombreux débats en cours sur les perceptions culturelles. Plutôt que de lutter contre cette marée inévitable, Köhler examine étroitement le sujet sans didactisme, le filtrant à travers un drame relationnel passif-agressif, jusqu’à ce que seuls ses ingrédients les plus puissants restent.

Une scène ambitieuse (et légèrement dangereuse) sur un hors-bord nous introduit à une “Médée” se déroulant dans une version quelconque du Sénégal, mêlant modernité et antiquité. La matriarche vengeresse, incarnée par l’actrice allemande Maja Tervooren (Maren Eggert), a tué ses enfants et tente de présenter leurs corps ensanglantés à son mari Jason, interprété avec force par la star franco-sénégalaise Nourou Cissokho (Jean-Christophe Folly). La scène ne se déroule pas comme prévu, ce qui pousse la réalisatrice française en colère, Caroline Lescot (Nathalie Richard), à provoquer un tumulte comique, filmé à distance par la caméra de Köhler.

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Les esprits s’échauffent alors que “Gavagai” se retire pour révéler le chaos en coulisses, y compris un climax réécrit à la hâte qui agace les interprètes. Pendant ce temps, le père de Cissokho, Mansour (Roch Peton), un acteur sénégalais respecté, est mêlé à de nombreux figurants affamés dans la chaleur étouffante de Dakar, mais la solution à ce dilemme implique des pansements gestuels qui ne règlent ni ne reconnaissent les problèmes de fond, alors que Caroline redirige ses griefs vers Maja, l’accusant d’être simplement un membre de la bourgeoisie incapable d’accéder aux bonnes émotions ou expériences. Pendant ce temps, la réalisatrice insiste pour que les jeunes acteurs portent des gilets de sauvetage inconfortables, dans le cadre d’un commentaire superficiel sur la crise des migrants en Europe.

“Gavagai” déborde d’ironie dès le départ, mais Caroline (clairement inspirée par Claire Denis) n’est pas le centre du film. À mesure que le tournage touche à sa fin, Köhler observe Maja et Nourou s’engager dans des échanges flirteux à peine dissimulés. Des conversations apparemment banales lors des dîners éclairent chaque dynamique de manière inattendue, bien que ces tensions contradictoires — des accusations d’inauthenticité qui traversent des continents entiers — restent non résolues lorsque “Gavagai” fait un saut vers la première berlinoise prestigieuse des personnages.

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Dans le froid et l’austérité de l’hiver allemand (un contraste frappant avec la chaleur physique et culturelle de Dakar), un Nourou anxieux fait des siennes devant un hôtel et est abordé par un agent de sécurité polonais, déclenchant une réaction en chaîne mineure où Maja intervient en sa faveur, à son grand désarroi. Chaque nouveau développement est marqué par un inconfort persistant concernant les dynamiques raciales de l’incident et la manière dont Maja agit là où Nourou aurait préféré ignorer la situation. Peu de personnages abordent directement l’incident, mais ses effets pèsent sur la soirée.

L’incertitude et l’introspection qui en découlent sont exacerbées lors d’une conférence de presse précédant le festival, qui devient un point de friction lorsque l’équipe et le casting sont critiqués pour une adaptation prétendument négligente. Ici, Köhler évite la tentation de caricaturer les journalistes enflammés ou le casting et l’équipe sur la défensive. Ce faisant, il met en lumière les nombreux pièges qui se présentent lors du remixage d’œuvres anciennes pour le monde moderne, avec ses nombreux contextes raciaux conflictuels. Par exemple, Caroline cite sans réfléchir James Baldwin comme son étoile du Nord pour transformer “Médée” en l’histoire d’une femme blanche vivant comme une minorité parmi des Africains afin de commenter l’oppression, une inversion qui suscite des réactions abasourdies. C’est hilarant et maladroit, mais Köhler réussit à réaliser un équilibre remarquable en reliant son objectif à la réalisatrice et à sa sincérité naïve.

Si “Gavagai” présente un défaut majeur, c’est qu’il revient trop souvent à des scènes de “Médée” de Caroline pour souligner son propos et réaffirmer les liens entre la pièce et son propre drame contemporain. Cependant, l’éloignement visuel ininterrompu de Köhler permet à ses acteurs de laisser les disputes se développer et se dérouler longuement. En l’absence d’une bande sonore, leurs rythmes dramatiques façonnent chaque scène, résultant en des tensions sous-jacentes qui émergent progressivement et de manière organique, alors que Nourou et Maja refusent de reconnaître les griefs personnels et professionnels qui les empêchent de construire un amour durable. Le résultat est profondément captivant.

Le titre du film rappelle la philosophie analytique de W.V. Quine, qui a proposé un scénario où le mot “gavagai” (dans une langue native fictive) pourrait être interprété de plusieurs manières. “Gavagai” devient donc une histoire de la tour de Babel. Les personnages sont parfois vus en train de traduire des phrases entre le français, l’anglais, l’allemand et le wolof — même les crédits d’ouverture sont présentés dans quatre langues — mais dans la conception de Köhler du monde cinématographique européen, la folie de l’humanité ne réside pas dans les dialectes différents, mais plutôt dans des cadres de référence divergents et des expériences vécues basées sur l’ethnicité et la nationalité. Ces blocages empêchent les personnages de communiquer efficacement comment ils espèrent être perçus. En conséquence, leur humanité est rarement reconnue selon leurs propres termes. Le film peut sembler simple en surface, mais ses conclusions frôlent le dévastateur.  

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