L’édition récente du magazine « Frontline » se penche sur ce qu’il nomme le « dividende démographique » de l’Inde, un avantage économique découlant de la jeunesse de sa population. Toutefois, un décalage entre les qualifications des diplômés et les exigences du marché de l’emploi menace de transformer cet avantage en désastre.
La couverture du magazine bihebdomadaire indien Frontline met en scène divers profils de jeunes travailleurs : une chercheuse, un artisan, un ouvrier de construction, un ingénieur, et un militaire. Au premier plan, on voit un livreur motorisé, prisonnier des algorithmes d’une application de livraison. Le titre pose la question : “Crise ou opportunité ?” avec le sous-titre suivant :
“L’Inde est à un stade où sa jeunesse devrait propulser sa croissance économique. Cependant, il semble que l’Inde ait déjà dilapidé cet avantage démographique.”
Dans son éditorial, Frontline constate que d’ici à 2041, près de 60 % de la population indienne sera en âge de travailler, ce qui est “un des pourcentages les plus élevés au monde” – bien au-dessus des populations vieillissantes d’Europe, d’Amérique du Nord ou d’Asie de l’Est. C’est ce que les économistes appellent le “dividende démographique”. “Une telle explosion démographique jeune ne se produit qu’une fois dans l’histoire d’un pays en développement, affirme le magazine. La décennie à venir est donc déterminante.”
Diminution des postes de travail
Mais en 2024, le taux de chômage chez les 20-24 ans atteint 45 %. Cela indique une “tendance alarmante” où le nombre de postes disponibles diminue tandis que celui des diplômés augmente. En témoigne la scène surréaliste de l’aéroport de Bombay en juillet dernier, où, selon Frontline, “15 000 diplômés se sont bousculés pour des postes de manœuvre payés 22 000 roupies [environ 240 euros] par mois”.
“Quand les jeunes acceptent de tels emplois par désespoir, cela n’est rien de moins qu’une catastrophe démographique.”
Le magazine identifie plusieurs facteurs responsables : d’un côté, l’émigration continue des jeunes hautement qualifiés ; de l’autre, des universités médiocres, “plus préoccupées par les profits que par la qualité de l’enseignement, produisant chaque année des milliers de jeunes à demi éduqués, à demi qualifiés, à demi lettrés – et totalement inemployables.”
Une alternative regrettable
Leur dernier recours reste souvent l’agriculture, qui emploie aujourd’hui 45 % de la main-d’œuvre tout en ne contribuant que 15 % au PIB. Sinon, il reste les fameux “petits boulots” comme la livraison ou le ménage.
Un choix malheureux pour la génération Z, que Frontline décrit comme “une force nouvelle, bouillonnante, déterminée, idéaliste et mieux informée que toutes les générations précédentes”.
En dépit de son dynamisme, le gouvernement du BJP, le parti nationaliste hindou, se limite à proposer un “surplus de signaux religieux et de bavardages mythologiques qui ne font qu’accroître la frustration et l’aliénation”. Par ailleurs, le gouvernement consacre moins de 5 % du PIB à l’éducation.
* En français dans le texte.
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Juliette Martin est journaliste spécialisée en politique internationale, avec une passion pour les relations diplomatiques et les questions géopolitiques.