Chaque année, des journalistes originaires de divers pays d’Asie du Sud, incluant l’Inde et le Pakistan, se retrouvent à Londres pour participer à un atelier de plusieurs jours. Cet événement vise à déconstruire les préjugés nationalistes, comme le souligne cet article inspirant du journal “Dawn”.
“Tu verras, les Indiens vont se regrouper et ne vont pas chercher à interagir avec nous.” Ce commentaire provient d’une collègue pakistanaise lors de notre premier jour au SAJP, un programme destiné aux journalistes sud-asiatiques à l’université de Westminster, à Londres. Elle s’est expliquée en me racontant son expérience lors d’un précédent atelier où elle avait ressenti une forte présence de préjugés de la part des participants indiens.
Annuellement, la bourse Chevening, un initiative du ministère des Affaires étrangères britannique, réunit 20 journalistes venant de l’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka et du Bangladesh [avec des participants aussi d’Afghanistan et des Maldives]. Le but est d’encourager la collaboration et de stimuler une réflexion commune sur la couverture médiatique des problématiques régionales.
Le programme vise également à promouvoir les valeurs démocratiques et à renforcer les liens entre les nations sud-asiatiques. Et il semble que dès le départ, il y avait déjà des défis à relever, comme l’a montré ma discussion avec ma collègue pakistanaise!
Les premiers échanges
Suite à une introduction globale, la première activité fut consacrée aux présentations individuelles. Chaque participant devait interviewer un autre et le présenter au groupe. Cet exercice a permis de briser la glace et d’échanger nos premiers sourires.
Par la suite, nos travaux de groupe ont été organisés en mixant les nationalités. Cette approche a contribué à effacer les divisions et à nous faire réaliser combien nous étions semblables.
Nos soirées passées à explorer Londres après les sessions ont révélé nos similitudes : ce qui nous amusait, ennuyait, frustrait ou faisait rire était souvent le même pour tous. Nous avons découvert que nous partagions les mêmes luttes, les mêmes ambitions professionnelles, les mêmes peurs et les mêmes petits plaisirs. Ces découvertes ont rapidement dissipé toute considération de nationalité, et nous sommes simplement devenus des amis.
Dépasser les préjugés
Ma collègue pakistanaise, initialement sceptique envers les journalistes indiens, passait désormais la majorité de son temps avec eux. Outre les visites touristiques, nous avons également partagé des repas dans la cuisine commune de notre hébergement, découvrant des goûts étonnamment similaires.
Un jour, je l’ai interrogée sur ses impressions initiales :
“Tu pensais que les Indiens seraient distants, mais en réalité ils se sont révélés accueillants et chaleureux.”
Elle n’a pas vraiment expliqué son changement d’avis, mais vers la fin du séjour, elle a partagé ses préjugés initiaux avec le groupe et a admis s’être trompée.
Ce moment m’a enseigné deux leçons importantes: ne jamais se précipiter dans ses jugements basés sur des expériences négatives et toujours être prêt à remettre en question ses certitudes et à reconnaître ses erreurs, comme l’a fait ma collègue.
Nouveau chapitre
J’ai également découvert mes propres préjugés, non pas envers les Indiens, mais envers nos homologues bangladais. Je craignais que les événements de 1971 [la guerre de libération du Bangladesh] affectent nos relations, mais l’expérience m’a prouvé le contraire. Ils m’ont accueilli comme l’un des leurs et, lorsque j’ai tenté de m’excuser pour le passé, ils m’ont immédiatement rassuré :
“Ce qui est fait est fait. Tournons la page et écrivons un nouveau chapitre basé sur l’amitié et le respect mutuel.”
Certains journalistes indiens m’ont également confié leurs appréhensions initiales, pensant que les Pakistanais nourriraient de l’hostilité à leur égard. Eux aussi ont réalisé leur erreur. Après tout, comment une nation entière pourrait-elle détester une autre ?
Vous pourriez vous demander comment un groupe de journalistes s’amusant ensemble peut contribuer à résoudre les tensions persistantes entre leurs pays. Cela mérite réflexion. Revenons donc sur les discussions plus sérieuses que nous avons eues à propos de ces conflits.
Extrémistes de tous les pays…
J’ai abordé la question délicate du Cachemire avec un confrère indien, mentionnant la politique du gouvernement Narendra Modi. J’ai souligné que la révocation de l’autonomie constitutionnelle de la région [en 2019] avait transformé la vallée du Cachemire en une sorte de prison à ciel ouvert, marquée par de nombreuses violations des droits humains. À ma grande surprise, il a lui aussi critiqué cette politique. Il n’était pas le seul, d’autres journalistes indiens partageaient son opinion.
De même, aucun des journalistes pakistanais présents n’a défendu les extrémistes qui attaquent l’Inde et alimentent un esprit belliqueux. Au contraire, nous avons tous critiqué cette approche, la considérant comme l’une des principales causes de l’animosité entre nos deux pays.
Quelles leçons pouvons-nous tirer de ces échanges ? Cette expérience dépasse notre petit groupe de journalistes : chaque fois qu’un Pakistanais revient d’un voyage en Inde, ou qu’un Indien revient du Pakistan, il ne tarit pas d’éloges sur les personnes accueillantes et chaleureuses qu’il a rencontrées.
De l’hostilité à la coopération
Comment alors expliquer que des tensions subsistent entre l’Inde et le Pakistan ? Pourquoi les relations entre ces pays semblent-elles dépasser toute logique ? Et pourquoi des journalistes comme nous, participants au SAJP, n’ont-ils pas réussi à transmettre l’ouverture d’esprit que nous avons expérimentée ?
La rhétorique et le nationalisme ont souvent le dessus sur la raison et le progressisme dans nos deux pays. Et comment pourrait-il en être autrement ? Chaque citoyen est imprégné de propagande et de “discours officiels” depuis sa naissance.
De plus, en Inde comme au Pakistan, dès qu’une personne sensée tente de promouvoir la paix, elle est immédiatement taxée de “traître” et d’“antipatriote” par ceux qui bénéficient du conflit.
Alors, comment faire pour que l’esprit de coopération influence la politique de nos deux pays ? Selon moi, pour remporter cette bataille culturelle, il est crucial de promouvoir l’esprit critique, d’encourager la raison et de favoriser les rencontres au-delà des frontières.
C’est ainsi que les nations européennes ont évolué, passant de l’hostilité à la coopération malgré leurs nombreuses différences. Cela prendra également du temps pour l’Inde et le Pakistan, mais l’essentiel est de conserver l’espoir et de continuer à diffuser ce message de paix et de tolérance.
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Juliette Martin est journaliste spécialisée en politique internationale, avec une passion pour les relations diplomatiques et les questions géopolitiques.