Un Spectacle Théâtral Méticuleux
L’œuvre de Roger Q. Mason et Lovell Holder, intitulée « Lavender Men », regorge d’idées innovantes bien que par moments, celles-ci semblent s’enliser dans une conception trop centrée sur la scène théâtrale.
Le film « Lavender Men » prend vie dans un petit théâtre où se joue une pièce plutôt médiocre sur Abraham Lincoln. Toutefois, le véritable début du film se manifeste juste après la baisse du rideau sur cette mise en scène sérieuse, qui n’avait attiré qu’une poignée de spectateurs. Co-écrit par Lovell Holder et Roger Q. Mason, qui est également le créateur et l’acteur principal, le film est décrit comme une « fantaisie » créée dans l’esprit de Taffeta, le régisseur de la pièce. Cette œuvre explore de manière audacieuse et métathéâtrale la prétendue liaison homosexuelle de longue date de Lincoln, bien qu’elle semble quelque peu surchargée.
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« Lavender Men » a d’abord été conçu comme une pièce de théâtre. Avec le personnage de Taffeta, un personnage noir, Filipinx, queer et de grande taille, Mason a imaginé un stratagème théâtral où la scène servirait à revisiter la version édulcorée de Lincoln enseignée dans les écoles américaines. Le théâtre lui-même, ainsi que le son d’une seule balle, deviennent le motif central du film. Cela semble être un clin d’œil à la nuit la plus tristement célèbre de Lincoln au théâtre. Au fur et à mesure que le film se déroule, nous assistons à une reconstitution surréaliste de l’affaire amoureuse de Lincoln avec le jeune Elmer Ellsworth (qui mourut d’un coup de feu, devenant la première victime de la Guerre Civile), Mason semble vouloir entrelacer l’héritage des deux hommes dans un espace qui leur permet de rejouer la vie qu’ils ont menée mais qui a été effacée de leurs légendes respectives.
Dans la « fantaisie » de Taffeta, un terme qui fait écho aux pièces épiques « Angels in America » de Tony Kushner, qualifiées de « Fantaisie Gay sur des Thèmes Nationaux », Mason croit fermement au pouvoir du théâtre. Taffeta met en scène leur propre histoire révisionniste, qu’ils nous disent être à la mode, à travers de nombreuses répliques qui brisent le quatrième mur tout au long du film. Ils recastent Abe en jeune homme séduisant qu’ils avaient remarqué dans le public pendant la représentation (Peter Ploszek), et qu’ils découvrent plus tard être venu voir son partenaire émergent jouant Elmer sur scène (Alex Esola). Le rejet tacite qu’ils ressentent en découvrant ces deux beaux hommes en train de se rapprocher en coulisses, ainsi que leur béguin non partagé pour le metteur en scène de la pièce (Philippe Bowgen) et l’interaction désagréable qu’ils ont avec l’acteur vieillissant jouant Lincoln (Ted Rooney) alimentent le voyage de Taffeta dans leur imagination débridée.
Bientôt, ils commencent à orchestrer des scènes entre Abe et Elmer qui détaillent la relation illicite qu’ils ont nourrie en secret. En tant que narrateur, personnage, public et acteur, Taffeta incarne les possibilités infinies d’une histoire réinventée. Peut-être, suggèrent-ils, pourraient-ils écrire une fin différente pour Abe et Elmer, une proposition alléchante que les deux personnages (ou sont-ce des acteurs ? ou des figments de l’imagination de Taffeta ?) ne peuvent refuser. En brouillant leur propre vie et celle de Lincoln, en transformant leurs frustrations sexuelles et romantiques en matière première pour un rêve éveillé tard dans la nuit sur une histoire queer réimaginée, Taffeta soulève des questions sur la visibilité et la représentation qui sont résolument contemporaines.
Qu’est-ce que Taffeta gagne, après tout, à s’investir autant dans la vie sexuelle du sénateur qui deviendrait le 16e président des États-Unis ? Pourquoi insistent-ils tant pour s’inscrire dans le tissu de cette histoire, jouant des rôles aussi distincts que Mary Todd Lincoln et un lustre (oui, vraiment) ? Et pourquoi ce projet scénique leur permet-il de réfléchir et de recaster leurs propres angoisses face à un monde qui leur crie constamment au visage « Pas de gros, pas de femmes, pas de Noirs » ?
Il y a une rigueur intellectuelle dans ces questions. Et il est logique que Mason se soit tourné vers le théâtre pour les explorer. Après tout, la scène permet une porosité entre le passé et le présent, la réalité et la fiction, le jeu de rôle et la reconstitution. C’est pourquoi des auteurs comme Kushner, Tom Stoppard, Adrienne Kennedy, Suzan-Lori Parks, et même Jeremy O. Harris y ont trouvé un espace fertile pour explorer comment l’histoire peut être réévaluée et comment les corps peuvent raviver de vieilles idées dans des contextes modernes. À l’écran, ces appels à la puissance du théâtre, que Holder insiste pour mettre en avant en faisant de Taffeta et des divers autres personnages tantôt des acteurs, tantôt des membres du public, toujours attentifs aux lignes floues entre eux, sonnent plutôt creux. Ou plutôt, leur effet est plutôt émoussé : le littéralisme de l’écran ne sert pas aussi bien la vision de Taffeta, encore moins celle de Mason, que la scène ne l’aurait probablement fait.
Un film comme « Lavender Men », qui énonce sa thèse opportune et épineuse avec verve, mérite d’être admiré. Aux côtés du documentaire de Shaun Peterson « Lover of Men: The Untold History of Abraham Lincoln » et de la pièce primée aux Tony de Cole Escola, « Oh, Mary! », la collaboration entre Mason et Lovell se positionne clairement à l’avant-garde d’une réappropriation queer de ce président américain très vénéré. Si le résultat est parfois maladroit (sa cinématographie assez claustrophobique et saccadée; son rythme plutôt languissant), on ne peut nier la vision de Mason pour une version bienvenue de l’historiographie queer qui relie le passé et le présent pour imaginer un avenir plus lumineux et plus vibrant.
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Marc Lefebvre est un économiste et journaliste, expert en macroéconomie et marchés financiers mondiaux.