Franz : Le biopic d’Agnieszka Holland sur Kafka, entre mouvement et hésitation

Ce film ambitieux, qui mêle des événements de la vie de l’écrivain tchèque dans une étude prismatique de sa frustration créative et de son héritage incontrôlé, prétend rejeter la convention tout en n’ayant rien de véritablement radical à dire.

Concernant les sujets de biopics, Franz Kafka résiste à un traitement conventionnel à plusieurs niveaux, commençant par le fait que sa vie, courte et largement méconnue de son vivant, n’était pas particulièrement remarquable. Fonctionnaire modeste issu d’une famille juive tchèque de la classe moyenne à Prague, il a publié très peu de son œuvre littéraire influente avant de mourir prématurément de la tuberculose à l’âge de 40 ans; durant sa vie, son existence ressemblait à celle de nombreux écrivains frustrés, travaillant à côté dans un emploi peu inspirant. Il y a aussi la question de la fidélité spirituelle à l’homme et à son œuvre : pour un artiste associé à une réalité cauchemardesque et à l’absurde, un biopic linéaire et prestigieux serait une sorte de trahison.

Cette accusation ne peut pas être portée contre la cinéaste polonaise expérimentée Agnieszka Holland. Son portrait errant et constamment changeant « Franz » rend certainement hommage à l’iconoclasme de Kafka, même si ce n’est pas vraiment sa sensibilité littéraire : inondé d’anachronismes à travers les époques et de ruptures du quatrième mur, il est trop espiègle, parfois même avec un clin d’œil, pour que quiconque puisse le qualifier de kafkaïen. Ce n’est pas un problème en soi, d’autant plus que Steven Soderbergh a déjà adopté cette approche dans son propre anti-biopic « Kafka », un magnifique ovni qui canalise de minces brins de réalité dans un pastiche noir de la fiction sombrement paranoïaque de l’écrivain.

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Le film d’Holland, relativement orthodoxe, inclut les éléments biographiques essentiels de la naissance à la mort, mais ceux-ci sont fragmentés dans une structure de kaléidoscope qui établit des liens non seulement entre l’enfance de Kafka et ses névroses d’adulte, mais aussi entre les cibles de ses commentaires socio-économiques et notre présent corporatisé.

Cependant, pour toute cette agitation fiévreuse et ces gestes, « Franz » n’offre pas vraiment de point de vue clair, ni d’angle sur Kafka au-delà d’une proclamation générale de son importance durable. Filmé et conçu avec dynamisme, le film d’Holland propose des idées formelles significativement plus nombreuses que le biopic moyen, essayant apparemment une nouvelle approche stylistique toutes les quelques minutes, entre divers zooms brusques et des éléments de bande sonore distrayants. À certains moments, les personnages commentent les événements directement à la caméra, tandis qu’à d’autres, ils se retirent dans la distance austère du drame historique, alors que des passages de mélodrame apparemment sincères s’interrompent brusquement pour laisser place à une satire contemporaine plus large.

Intellectuellement, cependant, les idées de « Franz » sont plus rares. La représentation de Kafka comme un génie incompris entravé par les priorités capitalistes bourgeoises est sympathique mais guère radicale, tandis que son engagement avec son œuvre réelle est limité, à part quelques citations astucieuses dans le script de Marek Epstein. (Ailleurs, Holland se contente de références brutales et humoristiques, comme lorsque le père de Kafka écrase avec colère un cafard lors d’une scène tendue à table.) Ce n’est que dans une séquence marquante, alternant entre une lecture publique mal accueillie de sa nouvelle « Dans la colonie pénale » et une dramatisation rêveusement macabre de son contenu, que le film semble pleinement exploiter l’imaginaire de son sujet.

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Malgré sa présentation élaborée et désordonnée, la partie biographique du film contient peu de surprises. Nous survolons l’enfance sans amour de Kafka, élevée par un père brusque et axé sur les affaires (Peter Kurth), ses relations plus proches avec sa mère (Sandra Korzeniak) et sa sœur particulièrement dévouée Ottla (Katharina Stark), son engagement avorté avec la femme allemande de la classe ouvrière Felice Bauer (Carol Schuler), sa liaison imprudente avec la meilleure amie de celle-ci, Grete Bloch (Gesa Schermuly), et ses tentatives répétées d’échapper à la monotonie de son emploi dans une compagnie d’assurances, que ce soit par l’écriture ou par son échec à rejoindre l’armée pendant la Première Guerre mondiale.

Chargé de soutenir la plupart des éléments disparates du film avec sa présence stoïque et hantée, le nouveau venu Idan Weiss apporte une certaine profondeur à l’ensemble — ainsi qu’une ressemblance crédible avec Kafka lui-même, en accord avec le souci du détail historique qui sous-tend les envolées plus folles de Holland. (Il ressemble d’ailleurs beaucoup à l’acteur français Pierre Niney, star de l’œuvre d’époque sans lien « Frantz » de François Ozon.) Cependant, il ne parvient pas réellement à animer des scènes qui, sur leurs propres termes, se rapprochent davantage de Masterpiece Theater que du design global plus anarchique du film, et frôlent la répétition où qu’elles soient placées dans le tout. La relation dysfonctionnelle de Kafka avec son père reste constante à travers les décennies, un point souligné par peut-être trop de vignettes jumelées de traumatismes enracinés.

« Franz » est le plus intéressant lorsqu’il s’étend au-delà de la durée de vie de son sujet pour relier l’existence modeste de Kafka à notre impression démesurée de lui aujourd’hui — de manière ambitieuse, bien que pas toujours réussie. Un épilogue touchant dramatise les risques encourus par son ami et collègue Max Brod (Sebastian Schwarz) pour préserver et protéger les écrits de Kafka après sa mort, même à travers la montée de l’antifascisme intellectuel dans les années 1930.

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Cependant, des coupures récurrentes aux visites actuelles d’une interprétation exagérée du véritable musée Kafka à Prague paraissent étranges. Il y a une certaine sagesse dans leur représentation de la façon dont les luttes personnelles et créatives de Kafka sont vulnérables à la romantisation par les éducateurs, les conservateurs et même par les cinéastes, que Holland se compte ou non parmi eux. Mais une critique acerbe à l’encontre d’une industrie touristique transformant son nom en « Kafka Burgers » semble déplacée. Ce serait sous-estimer l’art et la curiosité de Holland que de suggérer que « Franz », avec son abondance de libertés astucieuses et de références historiques, est un burger Kafka lui-même — mais c’est au moins une sorte de salade Kafka hachée.

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